Taxer la publicité sur Internet : un anachronisme doublé d’une erreur économique

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Projet de loi relatif à la communication audiovisuelle

Dans le cadre de la réflexion sur le financement de l’audiovisuel public, la mise en place d’une taxe « infinitésimale » des revenus publicitaires sur Internet a été évoquée. Une telle mesure fragiliserait gravement un secteur en pleine croissance qui est à la fois un moteur pour l’ensemble de l’économie française et un secteur riche en « start-ups », dont, en dépit de son dynamisme, les équilibres financiers sont encore précaires.

Internet, une chance pour l’audiovisuel

Bien loin d’être une menace ou un concurrent, Internet est aujourd’hui une chance pour l’audiovisuel. Comme l’expliquait déjà en novembre 2006, le patron de CBS, l’une des plus grandes chaînes de télévision aux Etats-Unis, David Poltrack, l’utilisation d’une plateforme telle que YouTube ou Dailymotion pour promouvoir certains programmes de sa chaîne avait conduit à une augmentation de la part d’audience télévisée de ces programmes entre 5 et 7% (le « YouTube effect »).

Dans le même ordre d’idée, François Fillon, lors d’un discours (source ?) prononcé le 21 février 2008, a appelé à ne pas opposer « deux mondes appelés à vivre ensemble : celui de l’audiovisuel et du contenu et celui des télécommunications […]. La frontière entre les deux mondes s’estompe ».

L’un des enjeux du débat actuel sur un nouvel audiovisuel public consiste donc à ne pas opposer télévision et Internet, mais au contraire considérer Internet et en particulier les plateformes vidéos telles que Dailymotion ou YouTube comme un support complémentaire on n’est pas un truc de djeunes, que l’audiovisuel notamment public doit investir, profitant ainsi d’une nouvelle fenêtre de diffusion pour ses contenus.

Internet, une chance pour la croissance française

Economistes, politiques, entrepreneurs, tout le monde s’accorde à dire que le web est susceptible d’apporter à l’économie française un point de croissance par an.
La France est à la pointe dans le développement de la nouvelle génération de platesformes et services, le « web 2.0 », dont la principale caractéristique est la contribution des utilisateurs à la production et à l’organisation des contenus. En France, on compte 3,2 millions de bloggeurs, les sites des blogs attirent 7 millions de visiteurs par mois, et le temps passé à lire des blogs est France le plus important du monde.

Par ailleurs, une récente étude Ernst&Young sur le capital risque a estimé que la France arrive en tête de l’Europe en termes d’investissements dans le web 2.0. Selon cette étude, la France est la deuxième destination mondiale de capital-risque sur le web, après les Etats- Unis. Des entreprises françaises telles que Dailymotion ou PriceMinister commencent à investir la scène internationale de la Toile. Ce contexte positif est un atout pour la compétitivité future de la France.

Publicité sur Internet : un écosystème redistributif valorisant la création

L’un des principaux modèles qui a permis le développement de l’Internet repose sur la publicité : des services gratuits pour l’utilisateur financés par la publicité. Un véritable écosystème redistributif s’est mis en place autour de ce modèle de la gratuité, générateur de richesses et d’échanges. Pour les utilisateurs, cet écosystème permet de financer des services fournis gratuitement ; pour les annonceurs, ce système propose de nouveaux formats de publicité flexibles, rentables et mesurables ; pour les fournisseurs de contenus, il leur offre le moyen de valoriser leur audience et de soutenir ainsi leur activité
éditoriale indépendante.

Par ailleurs, les plates-formes telles que Dailymotion ou YouTube offrent les mêmes opportunités aux entreprises multinationales et aux créateurs indépendants. Les
communautés de YouTube ou de Dailymotion représentent un tremplin pour des créateurs anonymes.

Enfin, la publicité sur Internet est accessible à tous les acteurs économiques, quelle que soit leur taille, contrairement à la publicité sur supports traditionnels. Grâce à cette nouvelle forme de publicité, des TPE françaises peuvent toucher, moyennant un faible coût, un public ciblé.

Jusqu’à présent, le système de financement de la création par des taxes pouvait se justifier par une redistribution des revenus d’éditeurs de média qui se concentrent sur des contenus à forte audience vers des créateurs innovants et indépendants (la « longue traîne » en quelque sorte). Or les plateformes communautaires telles que Dailymotion ou YouTube donnent leur chance et offrent un modèle économique à tous les contenus sans effet de seuil. Dans ces conditions, la redistribution via une taxe vers la production indépendante et nouvelle se justifie moins, puisque le canal de distribution et les moyens de rémunération
des créations sont accessibles à tous.

Web 2.0 : la réalité d’un modèle économique basé sur la publicité

Le web 2.0 regroupe un grand nombre de services (plates-formes communautaires de blogs, de vidéos, de création d’oeuvres, etc.) qui ont tous un point commun : un modèle économique tournant autour de la monétisation du trafic.

Contrairement à de nombreuses initiatives passées de l’internet, la publicité demeure le moteur des sites communautaires. Alors que la publicité représente environ 20% des revenus des plates-formes de commerce électronique, celle-ci représente pour la très grande majorité des acteurs du web 2.0, de 90 à 100% des revenus.

Selon l’analyste Mark Anderson, « l’argent de la publicité est le seul argent nouveau » depuis l’éclatement de la bulle économique dans les années 2000 et d’ajouter que « les gens ne payent pas pour toutes ces nouvelles choses qui brillent, c’est la pub qui paye ».

Ainsi, l’enjeu pour les acteurs du web 2.0 est de « monétiser le trafic ou vendre à ceux qui peuvent le faire ». Cela changera peut-être mais aujourd’hui le financement par la publicité est le « carburant » de l’innovation sur le web.

La taxation de la publicité en ligne ne pourrait pas non plus être justifiée par un argument « protectionniste » faisant valoir qu’elle toucherait essentiellement des sites non français – et en particulier américains. En effet si l’on considère de manière agrégée les chiffres d’audience des sites en octobre 2008 en France, les sites français sont majoritaires.

Taxer les revenus publicitaires des sociétés du Web mettrait tout simplement en péril leur modèle économique.

Un écosystème fragile : les dangers de la taxation de la publicité sur Internet

La mise en place d’une taxation des revenus de la publicité sur Internet aurait pour
conséquence :

  • de fragiliser un modèle économique dynamique mais dont les équilibres financiers ne sont pas encore consolidés. En effet, la plupart des acteurs du web 2.0 sont des entreprises de moins de trois ans qui, en dépit du fait qu’elles sont présentées comme des success stories, ne sont pas encore à l’équilibre. Faut-il rappeler que quasiment tous les modèles économiques du 2.0 ont besoin a minima de 4 à 5 ans pour enfin devenir bénéficiaires. Taxer des start-ups repoussera leur point d’équilibre financier de plusieurs mois voire de plusieurs années ;
  • d’entraîner les délocalisations des principaux acteurs de l’Internet, leur activité étant, par nature, très mobile. En effet, aucun autre pays industrialisé n’a jamais imaginé de taxer ses secteurs émergents pour créer ainsi une incitation au départ. De telles délocalisations signifieraient des pertes de compétences et d’opportunités de développement très lourdes pour la France, car de nombreux acteurs de petites tailles se développent autour d’eux et n’auraient pas, eux, les moyens de se délocaliser ;
  • si une taxation des revenus publicitaires sur Internet était mise en place, le surcoût dû à la taxe serait essentiellement assumé par les petits annonceurs (PME / TPE), ces entreprises n’ayant pas de possibilité de délocaliser leur achat d’espaces de publicité sur Internet. Les plus grands annonceurs pourraient, quant à eux, effectuer leurs achats d’espaces publicitaires à l’étranger sans difficulté;
  • enfin, d’aller contre les objectifs de la réforme de l’audiovisuel qui visent à l’amélioration des contenus. La taxation des revenus publicitaires risquerait d’affaiblir un système qui, grâce à des coûts de distribution quasi-nuls et un modèle de partage de revenus, représente un soutien à la création innovante, nouvelle et indépendante.