Projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure 2 (LOPPSI 2)

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Réaction de l’Association des Services Internet Communautaires (ASIC)

Le projet de loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI) comporte plusieurs mesures relatives à la cybercriminalité. L’Association des Services Internet Communautaires soutient les efforts du législateur pour rendre l’internet plus sûr. Le maintien de la confiance des internautes est clé pour le développement de l’économie numérique. En même temps, l’un des enjeux du projet de loi consiste à
préserver un équilibre entre lutte efficace contre la cybercriminalité et liberté d’expression permise par les nouveaux outils du web et tant appréciée par les internautes français. C’est pour ces différentes raisons que l’ASIC a tenu à analyser soigneusement le projet de loi et suggérer quelques pistes d’amélioration.

L’ASIC s’inquiète de la suppression par les sénateurs d’une disposition introduite par les députés prévoyant un recours au juge avant de décider de mesures de filtrage d’une liste noire de sites. En outre, elle regrette la formulation de certaines autres mesures et espère que les députés pourront apporter des améliorations au texte.

Lutte contre l’usurpation d’identité : une rédaction à risque pour la liberté d’expression (article 2)

L’article 2 du projet LOPPSI vise à lutter contre l’usurpation d’identité sur Internet. Cependant, sa rédaction est imprécise, en incriminant « le fait de faire usage, de manière réitérée, sur un réseau de communications électroniques, de l’identité d’un tiers ou de données de toute nature permettant de l’identifier ». Ce nouveau délit pourrait donc s’appliquer, à titre d’exemple :
· au fait d’identifier nommément (tagger) quelqu’un sur une photo sur un réseau social ;
· au fait de critiquer qui que ce soit sur un blog;
· au fait de poster les coordonnées d’un parlementaire sur un site en invitant les citoyens à le contacter pour exprimer leur opposition à un texte de loi (s’il s’en suit un nombre important d’appels pouvant nuire à la tranquillité du député).

L’ASIC appelle les députés à retenir une rédaction plus proportionnée de cet article qui, tout en luttant contre l’usurpation d’identité, ne mette pas en péril la liberté d’expression des internautes français et le développement des sites communautaires en France.

L’association suggère de supprimer l’expression « ou des données de toute nature permettant de l’identifier » pour limiter l’article à la seule usurpation de l’identité d’autrui, car l’usage de données permettant d’identifier quelqu’un est une notion beaucoup trop vague pour qualifier une infraction dans ce cas de contexte.

On notera, au surplus, que les abus dans l’usage de données personnelles sont déjà punis par la loi Informatique et Liberté de 1978, de sorte que la rédaction proposée n’apporte pas de réelle évolution, si ce n’est une insécurité juridique due à son imprécision.

En outre, l’ASIC souhaite que l’élément de réitération, supprimé par les députés, permettant de qualifier l’usurpation, soit réintégré au texte.

L’ASIC suggère donc les modifications suivantes :
Article 2
Après l’article 226-4 du code pénal, il est inséré un article 226-4-1 ainsi rédigé :
« Art. 226-4-1. – Le fait d’usurper de manière réitérée l’identité d’un tiers ou une ou plusieurs données de toute nature permettant de l’identifier en vue de troubler sa tranquillité ou celle d’autrui, ou de porter atteinte à son honneur ou à sa considération, est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.

« Cette infraction est punie des mêmes peines lorsqu’elle est commise sur un réseau de communication électronique ouverte au public. »

Aggravation des peines encourues pour la réalisation d’un délit en utilisant Internet : une rupture du principe d’égalité (article 3)

L’article 3 du projet de loi prévoit d’alourdir les peines encourues pour certains délits prévus par le code de la propriété intellectuelle commis par Internet en leur appliquant le régime des mêmes délits commis en bande organisée.

Si l’ASIC n’a aucune tolérance pour les délits concernés, elle refuse l’idée de stigmatiser Internet en considérant qu’à partir du moment où ces délits sont commis via internet, ils doivent être punis plus sévèrement que les mêmes délits commis sur un autre support. Il n’existe pas de raison objective pour justifier une telle violation du principe d’égalité, à valeur constitutionnelle.

L’ASIC en appelle purement et simplement au retrait de ces dispositions.

A l’article 4, l’ASIC s’inquiète de la suppression par la commission des lois du Sénat du recours au juge avant filtrage

La volonté de l’ASIC et de ses membres de lutter contre la présence de contenus pédopornographiques sur la Toile est totale. Chacun des membres de l’association coopère de manière étroite avec l’Office Centrale de Lutte contre la Criminalité liée aux Technologies de l’Information et de la Communication (OCLCTIC), équipe qui fait un travail remarquable et qui doit être saluée.

Le projet de loi vise à compléter le cadre existant par un dispositif de filtrage au niveau des fournisseurs d’accès des contenus pédo-pornographiques. L’ASIC souhaite d’abord rappeler que le retrait des contenus auprès des hébergeurs demeure la seule solution réellement efficace. Les dispositifs de blocage par l’accès sont contournables.

En outre, l’ASIC considère qu’une prise de conscience sur les enjeux liés à un dispositif de filtrage est nécessaire : une telle mesure risque de porter atteinte au principe essentiel de neutralité des réseaux. La mise en place de dispositifs de blocage doit donc être considérée comme exceptionnelle et limitée exclusivement aux contenus pédopornographiques.

Dans cet esprit, l’ASIC s’inquiète de la suppression par le Sénat de l’amendement adopté par les députés visant à soumettre la liste noire des contenus à filtrer à l’autorité judiciaire. Cette disposition mettait le projet de loi en conformité avec la jurisprudence du Conseil Constitutionnel du 10 juin 2009 selon laquelle les pouvoirs confiés à une AAI « peuvent conduire à restreindre l’exercice, par toute personne, de son droit de s’exprimer et de communiquer librement, notamment depuis son domicile ; que, dans ces conditions, eu égard à la nature de la liberté garantie par l’article 11 de la Déclaration de 1789, le législateur ne pouvait, quelles que soient les garanties encadrant le prononcé des sanctions, confier de tels pouvoirs à une autorité administrative dans le but de protéger les droits des titulaires du droit d’auteur et de droits voisins ». Au regard de la
rédaction adoptée par le Sénat, l’ASIC suggère de réintroduire la précaution adoptée par les députés visant à garantir qu’un contrôle du juge intervient avant que toute mesure de filtrage d’un site soit prise par l’autorité administrative.

En outre, la précision introduite par les sénateurs, sur proposition du sénateur Yves Détraigne, prévoyant une possibilité pour l’autorité administrative de saisir le juge « lorsque le caractère pornographique n’est pas manifeste », ne permet pas de rendre le recours au juge systématique et ne confère à l’autorité qu’une possibilité de saisir le juge et ne lui en fait aucunement l’obligation.

Au-delà de la réintroduction de cette mesure, l’ASIC suggère de :
· rappeler dans la loi le principe de subsidiarité pour le retrait des vidéos illégales tel qu’il a été fixé par la loi pour la confiance dans l’économie numérique (1) : il faut d’abord demander le retrait aux hébergeurs avant de recourir au filtrage sur les réseaux.

L’ASIC suggère donc de préciser que l’autorité administrative demande d’abord le retrait du contenu en question à l’hébergeur avant d’allonger la liste noire des pages web à bloquer par les fournisseurs d’accès. Outre une plus grande efficacité, cette suggestion permettrait aussi de limiter la taille de la liste noire, et ainsi le coût du dispositif supporté par l’Etat mais également le risque d’erreur dans les pages web placés sur la liste noire.

(1) 8ème alinéa du I de l’article 6 de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique :
« 8. L’autorité judiciaire peut prescrire en référé ou sur requête, à toute personne mentionnée au 2 ou, à défaut, à toute personne mentionnée au 1, toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne. »

· préciser que la liste noire doit bien être constituée d’URL précises et non de domaines entiers. Afin d’éviter les risques de sur-blocage, il convient de viser à la meilleure granularité possible dans la localisation des contenus à bloquer. Cette précision permettrait d’éviter, par exemple, que l’intégralité d’une plateforme de blog soit bloquée au motif qu’un des blogs qu’elle héberge relève de la liste noire ou encore qu’une plateforme de partage de vidéos soit censurée dans son intégralité parce qu’une vidéo est passée à travers les mailles du filet et relève de la liste noire. Le risque de sur-blocage n’est pas théorique comme en témoigne les cas de membres de l’ASIC bloqués, y compris en Europe.

A ce titre, il convient de rappeler la réserve d’interprétation émise par le Conseil constitutionnel dans sa décision en date du 10 juin 2009 à propos de la possibilité, prévue par la loi « Création et Internet » de permettre au juge d’ordonner des mesures de filtrage en présence d’atteinte à des droits de propriété intellectuelle. Les sages ont rappelé que les mesures doivent respecter la liberté d’expression et de communication et dans ces conditions, elles doivent être « strictement nécessaires à la préservation des droits en cause ». Seul un filtrage au niveau de l’URL est donc admissible en l’espèce.

L’ASIC suggère donc les modifications suivantes :
Article 4
I. – L’article 6 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2 004 pour la confiance dans l’économie numérique est ainsi modifié :

1° Après le quatrième alinéa du 7 du I, sont inséré s deux alinéas ainsi rédigés :

« Lorsque les nécessités de la lutte contre la diffusion des images ou des représentations de mineurs présentant un caractère manifestement pornographique le justifient, et faute pour elle d’en avoir obtenu le retrait prompt par les personnes mentionnées au 2 qui en assurent le stockage, l’autorité administrative notifie, après accord de l’autorité judiciaire, aux personnes mentionnées au 1 du présent I les adresses électroniques la
localisation précise des services de communication au public en ligne contrevenant aux dispositions de cet article, auxquelles ces personnes doivent empêcher l’accès sans délai. Lorsque le caractère pornographique n’est pas manifeste, l’autorité administrative peut saisir l’autorité judiciaire qui statue sur l’interdiction de l’accès aux adresses électroniques mentionnées au présent alinéa. « Un décret fixe les modalités d’application de l’alinéa précédent, notamment celles selon lesquelles sont compensés, s’il y a lieu, les surcoûts résultant des obligations mises à la charge des opérateurs. » ;

2° Au dernier alinéa du 7 du I et au premier alinéa du 1 du VI, les mots : « quatrième et cinquième » sont remplacés par les mots : « quatrième, cinquième et septième ».

II. – Le I entre en vigueur six mois à compter de de la publication du décret prévu au sixième alinéa du 7 du I de l’article 6 de la loi n° 2004-5 75

A propos de l’Association des Services Internet Communautaires (ASIC)
L’Association des Services Internet Communautaires (ASIC) est la première organisation française à réunir les acteurs du web 2.0 et vise à promouvoir le développement du» nouvel internet ». L’ASIC est présidée par Giuseppe de Martino, Directeur juridique et réglementaire de Dailymotion, et par Pierre Kosciusko-Morizet, Président directeur général du Groupe PriceMinister.

Contacts :
Giuseppe de MARTINO
Co-Président de l’ASIC
president@lasic.fr
Olivier ESPER
Trésorier de l’ASIC
contact@lasic.fr
Benoit TABAKA
Secrétariat général de l’ASIC
contact@lasic.fr