Les dangereuses conséquences de la réforme de la responsabilité des intermédiaires voulue par le Gouvernement

Paris, le 13 mars 2018 – L’Association des Services Internet Communautaires (ASIC), fondée en 2007 et qui regroupe les acteurs de l’internet communautaire et collaboratif, s’étonne de la note révélée par Contexte, rédigée par le Secrétariat d’Etat au numérique, et qui souhaite refondre le régime de responsabilité des acteurs de l’internet.

En juin 2000, l’Europe a adopté un cadre réglementaire destiné à permettre l’émergence d’acteurs du numériques en Europe. Cette directive dite “commerce électronique” a par la suite était transposée en France dans la loi pour la confiance dans l’économie numérique du 21 juin 2004.

Pierre angulaire de ce développement de l’économie numérique, le statut juridique des intermédiaires de l’internet a permis de concilier le besoin d’innovation et la lutte nécessaire contre la circulation des contenus et comportement manifestement illicites. Malgré des croyances – quasi-populaires – ces textes n’ont pas instauré un régime d’irresponsabilité des acteurs de l’internet. A l’inverse, la loi pour la confiance dans l’économie numérique instaure un régime de responsabilité aménagée tant sur le plan civil que pénal.

La règle est relativement simple : dès lors que l’hébergeur a eu connaissance d’un contenu manifestement illicite, il engage sa responsabilité tant civile que pénale s’il n’agit pas pour cesser la diffusion de ce contenu. Les juges sont venus rappeler à plusieurs reprises une stricte application de ce texte, n’hésitant pas à retenir la responsabilité d’intermédiaires défaillants.

Dans une note dévoilée par Contexte cette semaine, le Secrétariat d’Etat au numérique semble vouloir aller plus loin en voulant créer une nouvelle catégorie d’acteurs – des plates-formes qui auraient pour fonction d’être des curateurs de contenus circulant sur internet. A ces acteurs, le statut des intermédiaires de l’internet serait refusé. Mieux, de nouvelles obligations – notamment de retrait obligatoire en 24 heures – seraient imposées.

Vers une coupure automatique de contenus sans contrôle préalable

D’une part, il convient de rappeler que toute nouvelle obligation pesant sur les intermédiaires de l’internet doit s’apprécier au regard, d’une part, de la capacité des divers acteurs en présence et, d’autre part, au regard des enjeux existants en matière de protection du droit à l’information. Imposer un retrait en 24 heures va ainsi pousser un très grand nombre d’acteurs, qualifiés de plates-formes, à devoir se doter d’équipes de modération présentes 24h/24 et 7j/7.

Combien de jeunes pousses, de développeurs d’applications, de petites entreprises seront en mesure d’investir ainsi dans de telles moyens? En outre, donner un délai de 24 heures aux intermédiaires pour contrôler la nature des contenus, permettre aux auteurs des contenus d’apporter des éléments probants est tout bonnement irréaliste.

La proposition du Secrétariat d’Etat au numérique aboutira aussi à automatiser la suppression de tous les contenus notifiés, sans qu’aucun contrôle ni même discussion soit engagée. Toute notification, quelque soit l’émetteur – particulier, groupe de presse, gouvernement étranger, aboutira à la suppression des contenus. Dans l’incapacité pour les intermédiaires d’analyser précisément les notifications, la suppression automatique deviendra la norme. En Allemagne, où la loi a instauré une obligation de suppression dans les 7 jours, un automatisme a déjà été constaté, des effets de bord également.

Dédouaner des intermédiaires facilitera le stockage de contenus illicites en France

L’ASIC s’étonne également du souhait du Gouvernement de créer une nouvelle catégorie juridique afin de réduire la responsabilité juridique pesant sur les acteurs de l’internet qui ne procéderaient qu’au stockage de contenus illicites. Une telle segmentation est aujourd’hui inexistante dans le droit européen.

Pire, cela reviendrait ainsi à ouvrir un havre de paix pour tous les créateurs et détenteurs de contenus illicites voire manifestement illicite. Voulons nous vraiment faire de la France, le paradis numérique des contenus pédopornographiques, racistes, antisémites, terroristes, faisant l’apologie de toutes sortes de discrimination ?

Il ne s’agit pas d’une crainte irréelle. Doit-on rappeler que 76% des 7341 notifications traitées par le Point de Contact de l’AFPI en matière de contenus pédopornographies sont hébergés par des acteurs situés en France ?

Avant de vouloir dégager des acteurs de l’internet d’une part de leur responsabilité, au motif saugrenu qu’ils ne seraient que de simples “stockeurs” ou à l’inverse de créer une nouvelle catégorie juridique afin de poser de nouvelles obligations sur certains intermédiaires, il serait temps que le Gouvernement Français prenne la mesure du problème qu’est l’usage par de nombreux criminels d’acteurs français pour le stockage de contenus pédopornographiques.

En conclusion, l’ASIC invite le Premier Ministre à organiser une concertation large et incluant l’ensemble des acteurs, tant économiques que sociétaux, au regard des enjeux que représente une refonte des règles de l’internet.

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