Les 6 raisons pour lesquelles la #TaxeNumérique est une mauvaise idée

Paris, le 21 janvier 2019 – Dans une interview donnée au Journal du Dimanche, le ministre de l’Économie et des Finances a annoncé que son projet de taxe sur les entreprises de services numériques passerait de 3% à 5%. Cette annonce intervient sans qu’aucune étude d’impact de la mesure n’ait été réalisée sur :

  • la qualité des services disponibles en France
  • les investissements internationaux en France
  • la perte de compétitivité des entreprises françaises
  • le caractère légal d’une taxe française qui s’ajouterait aux taxes déjà payées dans les pays des sièges sociaux, et payées demain au niveau européen

Alors que l’OCDE – qui est la seule institution capable de proposer un système de fiscalité global pour des services globaux – prépare une  réforme du cadre fiscal applicable à toutes les multinationales, la France a souhaité proposer au plan européen d’avoir une approche sectorielle. Cette mesure – improprement appelée taxe GAFA – a vocation à taxer le chiffre d’affaires de toutes les entreprises proposant des services numériques.

A plusieurs reprises, l’ASIC, mais également des parlementaires de la majorité, ont a appelé le gouvernement et le ministre de l’Économie et des Finances à être plus transparent sur l’impact de cette mesure.

1 – IL NE S’AGIT PAS D’UNE TAXE SUR LES GAFA, MAIS D’UNE TAXE SUR TOUTES LES ENTREPRISES DU NUMERIQUE

Dans un rapport parlementaire publié récemment, la députée Bénédicte Peyrol indiquait que “ce ne sont donc pas que les traditionnels « géants du Net » mais bien l’ensemble des entreprises européennes et mondiales suffisamment importantes et tirant une part de leurs revenus de la participation des utilisateurs, qui seront concernées par la [taxe sur les services numériques]”.

Le projet européen, dont s’inspire aujourd’hui le ministre Bruno Le Maire, devait toucher “entre 120 et 150 entreprises, dont environ 50 % américaines, 30 % européennes, les 20 % restant concernant surtout l’Asie, notamment la Chine”. Il est évident que la mesure française aura le même impact et s’appliquera aussi bien à des entreprises étrangères qu’à des entreprises françaises. Des acteurs comme Criteo, SoLocal ou Cdiscount sont d’ores et déjà dans le périmètre de la mesure.

⇒Cette taxe sur le numérique, c’est aussi une taxe sur les entreprises françaises et les emplois d’aujourd’hui et de demain.

2- LA TAXE SUR LES SERVICES NUMERIQUES VA HANDICAPER LES ACTEURS FRANÇAIS DANS LEUR CROISSANCE

L’approche de Bruno Le Maire reflète aujourd’hui une image du secteur du numérique français en les opposants à des Géants du numérique. Afin d’éviter que les acteurs français ne soient trop impactés par cette mesure fiscale, un système de seuils serait mis en place. Les entreprises réalisant moins de 750 millions de chiffre d’affaires au plan mondial et moins de 25 millions de chiffre d’affaires en France seraient ainsi exclus.

Cela envoie un signal très fort aux entreprises françaises du numérique : “face aux Géants du numérique, restez des nains du numérique ! “.

⇒ En mettant en oeuvre un mécanisme de seuils, le gouvernement va handicaper fortement les entreprises françaises qui n’auront pas toute la capacité d’absorber du jour au lendemain une taxe de 5% sur leur chiffre d’affaire lors du franchissement des seuils. Le coût de la mesure sera tel qu’il incitera toutes ces entreprises à demeurer en dessous des seuils.

3- LA TAXE SUR LES SERVICES NUMERIQUES OUBLIE QUE TOUTES LES ENTREPRISES DU NUMERIQUE NE SONT PAS PROFITABLES

En créant une taxe sur le chiffre d’affaires, le ministre de l’Économie choisit la solution la plus simple mais ayant un effet très dangereux, notamment pour les nombreuses entreprises européennes qui ne sont pas profitables.

Taxer les profits notamment des entreprises françaises et européennes, c’est taxer la capacité de ces entreprises à recruter en Europe et en France. C’est taxer la capacité de ces entreprises à innover et à se développer.

Une telle taxe sur le chiffre d’affaires – a contrario de l’impôt sur les sociétés – s’applique quand bien même l’entreprise serait déficitaire et ne génèrerait pas de profits. Il s’agira d’une double peine: en plus de ne pas être suffisamment bénéficiaire, l’entreprise du numérique sera taxée et perdra encore plus d’argent.

⇒ En taxant le succès des uns, le gouvernement va empêcher le succès des autres.

4- UNE TAXE SUR LES SERVICES NUMERIQUES VA AVOIR UN IMPACT SUR LES PME ET LES CONSOMMATEURS

Aussi bien au plan européen, qu’au plan national, aucune étude d’impact n’a été rendue publique par les pouvoirs publics. Les entreprises du numérique couvrent pourtant un large périmètre d’activité comme les services de streaming musicaux ou vidéos, les places de marché utilisées par des centaines de milliers de petites et moyennes entreprises, les outils publicitaires utilisés par près d’un million d’entreprises pour exporter et proposer leurs services et produits.

Or, une taxe sur le chiffre d’affaires va se répercuter sur l’ensemble des utilisateurs de ces services du numérique. Le rapport de la députée Bénédicte Peyrol le confirmait : “il n’est pas impossible (et cela risque même d’être probable) que les entreprises acquittant la [taxe sur les services numériques] répercutent son coût sur les clients, faisant finalement peser sur eux la charge nouvelle”.

⇒Les services numériques proposés aux consommateurs français ou aux entreprises françaises pourraient faire l’objet d’une augmentation importante suite à l’instauration d’une telle mesure fiscale. Une analyse précise doit donc avoir lieu.

5- UNE TAXE IDEOLOGIQUE REPOSANT SUR UN FAUX POSTULAT

En communiquant sur le concept de “taxe GAFA”, la mesure fiscale proposée veut partir du postulat que des entreprises du numérique ne paieraient pas d’impôt. Or, tel n’est pas le cas.  

Or, et depuis une réforme fiscale de 2017 voulue par le Président des Etats-Unis Donal Trump, l’ensemble des profits des entreprises américains sont taxés aux Etats-Unis. Les profits de ces entreprises, qu’ils soient réalisés en Europe ou en Asie, localisés aux Pays-Bas, aux îles Caïmans ou aux Seychelles, sont ainsi intégralement taxés aux Etats-Unis.

En 2017, les profits générés antérieurement à la réforme fiscale et qui étaient en attente de taxation ont fait l’objet d’une taxation rétroactive. En 2017, Google et Apple ont ainsi payé chacun plus de 15 milliards de dollars d’impôts, Facebook s’étant quant à elle acquittée de plus de 4 milliards de dollars d’impôts. Chacune de ces trois entreprises a ainsi un taux moyen d’imposition de 25% sur les dernières années. Ces chiffres sont à comparer avec ceux des entreprises françaises du CAC40 qui ont payé 30 milliards d’euros d’impôts sur les sociétés au niveau mondial.

La question n’est donc pas de savoir si les entreprises du numérique américaines payent ou non des impôts. Ces entreprises sont largement imposées et la très vaste majorité de ces revenus est payée aux Etats-Unis. La taxe sur les services numériques ne permet pas de relocaliser cet impôt, elle vient créer une double taxation sur ces acteurs du numérique.

L’ASIC, depuis plus de 10 ans, soutient une réforme fiscale au plan international. La France doit aussi participer activement aux travaux menés par l’OCDE destinés à modifier profondément les règles fiscales qui s’appliqueront à tous les entreprises multinationales. L’approche unilatérale qui est aujourd’hui choisie par le ministre de l’Economie et des Finances risque de faire échouer les travaux internationaux.

En cas d’échec, et en affichant une approche unilatérale basée sur une taxe sur le chiffre d’affaires, Bruno Le Maire exposerait l’ensemble des entreprises françaises à des réponses similaires des autres pays. Quel impact aura une taxe sur le vin, les automobiles ou les produits de luxe français si la Chine d’instaurer une mesure similaire à celle adoptée par la France ?

⇒Les travaux de l’OCDE représentent une opportunité unique pour les Etats de trouver avec les pays du G20 un accord sur la manière dont les profits des entreprises multinationales, peu importe leur nature, doivent être taxés.

6- UNE TAXE SUR LES SERVICES NUMERIQUES QUI NE POURRA JAMAIS ATTEINDRE 500 MILLIONS D’EUROS

Au cours des deux derniers mois, de nombreuses déclarations ont été réalisées tendant à décrire le périmètre de ce que sera la taxe sur les services numériques. Il s’agirait d’une taxation (i) de la publicité en ligne, (ii) des places de marché en ligne et (iii) des activités de vente de données – les “brokers”.

Or, sur la base de ce périmètre, le rendement de la taxe ne pourra en aucune manière atteindre le chiffre de 500 millions d’euros.

En effet:

      • les investissements publicitaires en ligne réalisés France oscillent entre 4 et 5 milliards d’euros chaque année (source: Syndicat des Régies Internet)
      • le chiffre d’affaires des marketplaces présentes en France est inférieur à 1 milliard d’euros
    • le chiffre d’affaires des brokers est relativement faible – la France ne possédant pas d’acteurs majeurs en la matière.

En conséquence, la base taxable représente aujourd’hui 6 milliards d’euros maximum – et ceci sans tenir compte des éventuels effets de seuils. Sur la base d’une taxe de 3%, le rendement de la taxe sur les services numériques s’établirait à 180 millions d’euros par an.

Cela peut expliquer les raisons pour lesquelles le ministre de l’Economie a annoncé le 20 janvier 2019 son choix de porter cette taxe à 5%, permettant d’atteindre un rendement de 300 millions d’euros, encore loin des 500 millions d’euros annoncés.

⇒ L’ASIC regrette le choix mené par le ministre de l’Economie qui recherche avant tout un rendement particulier sans tenir compte des effets de bord d’une telle mesure fiscale.

En conséquence, l’ASIC appelle de ses voeux à ce qu’un débat intervienne afin de permettre:

    1. d’évaluer l’opportunité de la réponse proposée par le Ministre de l’Economie ainsi que le périmètre de la mesure ;
    2. d’évaluer l’impact de cette mesure fiscale sur les consommateurs, les entreprises utilisatrices des services numériques et les entreprises du secteur du numérique – en particulier, l’impact sur les coûts supplémentaires ou sur la création d’emplois ;
    3. d’évaluer l’impact de cette mesure fiscale sur les entreprises françaises qui feraient l’objet de mesures identiques de nos partenaires européens ou étrangers. La France envoie-t-elle le bon signal ?