EBay contre LVMH : Le dossier devra à nouveau être jugé en appel

Télécharger le PDF

Nouvelle évolution dans cette bataille juridique que l’ASIC suit avec attention

Paris, le 15 mai 2012 – Par trois arrêts rendus jeudi 3 mai 2012, la Cour de cassation a partiellement cassé trois arrêts rendus par la cour d’appel de Paris le 3 septembre 2010 qui avaient abouti à la condamnation d’eBay au paiement de 5,7 millions d’euros de dommages et intérêts au profit du groupe LVMH. eBay avait en effet été condamnée en raison de la vente entre 2001 et 2006, par certains de ses utilisateurs, de produits de marques du groupe LVMH sur les plateformes www.ebay.fr, www.ebay.co.uk et www.ebay.com.

Ces arrêts de la Cour de cassation apportent certaines réponses mais pour l’ASIC et nombre de commentateurs laissent également perdurer des interrogations sur des points clés pour les acteurs du Web 2.0, en particulier concernant le statut de prestataire de service d’hébergement, la compétence des juridictions françaises ou encore la violation des réseaux de distribution sélective.

L’incertitude demeure quant au statut de prestataire de service d’hébergement

L’ASIC rappelle que le statut de prestataire de service d’hébergement, instauré en France par la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique (ci-après « LCEN »), permet aux hébergeurs de sites internet de ne pas être tenus responsables des contenus mis en ligne et édités par leurs utilisateurs. A cet égard, les arrêts du 3 mai 2012 rappellent le critère à remplir pour être considéré comme un prestataire de service d’hébergement au regard de la LCEN : les opérateurs d’un site web ne doivent pas jouer de rôle actif de nature à leur conférer la connaissance ou le contrôle des données stockées sur leur site.

La cour d’appel avait, dans ses arrêts du 3 septembre 2010, appliqué ce critère du rôle actif et considéré que les sociétés eBay jouaient un tel rôle de nature à leur conférer la connaissance ou le contrôle des offres de vente stockées. L’ASIC souligne que la Cour de cassation, n’ayant le pouvoir de juger qu’en droit et non en fait, n’a pu se livrer à une application de ce critère aux faits de l’espèce. Elle s’est donc contentée de relever l’utilisation du critère idoine par la cour d’appel de Paris. Cette application du critère par la cour d’appel de Paris avait amené cette dernière à décider qu’eBay ne pourrait bénéficier du statut de prestataire de service d’hébergement, statut qui lui a pourtant été accordé par de nombreuses décisions récentes tant en Belgique, qu’en Allemagne et au Royaume-Uni qu’en France. La Cour de cassation a donc été contrainte de laisser subsister les décisions d’appel à cet égard, laissant planer sur l’ensemble des acteurs du Web 2.0 une incertitude
significative concernant leur statut. En revanche, la Cour de cassation s’est montrée plus rassurante quant à l’application des règles relatives à la compétence des tribunaux français pour les litiges impliquant des sites internet étrangers.

Le rappel des règles de compétence des juridictions françaises sur Internet

La cour d’appel de Paris s’était déclarée compétente pour connaître des ventes de produits LVMH effectuées à la fois sur les sites www.ebay.fr, www.ebay.co.uk et www.ebay.com. Afin de déterminer la compétence des juridictions françaises pour connaître de faits ayant eu lieu par l’intermédiaire d’un site internet, il convient de vérifier que le site internet en cause est destiné au public de France. Ce critère bien établi est régulièrement rappelé par la Cour de
cassation.

Pour connaître des ventes ayant eu lieu sur le site anglais www.ebay.co.uk, la cour d’appel de Paris s’est fondée sur une campagne de publicité, pourtant mise en place bien après la période des faits reprochés à eBay, par laquelle eBay aurait incité les visiteurs du site français à se rendre sur le site anglais, de sorte que le site anglais lui-même « s’adressait directement aux internautes français ». La Cour de cassation a considéré que la cour d’appel avait légalement justifié sa décision sur ce point.

En revanche, la cour d’appel de Paris s’était également déclarée compétente pour connaîtredes ventes réalisées sur le site www.ebay.com, considérant que « la désinence « com » constitue[rait] un TLD générique qui a[urait] vocation à s’adresser à tout public ». Un tel raisonnement a été cassé par la Cour de cassation qui a considéré qu’il s’agissait d’un motif « impropre à établir que le site ebay.com s’adressait directement au public de France ».

Ainsi, les juridictions françaises ne pourront plus se reconnaître compétentes en se fondant uniquement sur l’utilisation de la désinence commune « com », à défaut de prouver par d’autres critères que le site s’adresserait directement au public français.

A côté de ces éléments communs aux trois arrêts rendus par la Cour de cassation, l’un des arrêts concernant la revente de parfums et cosmétiques sur les sites eBay apporte des précisions significatives sur la violation alléguée de réseaux de distribution sélective.

La licéité et l’opposabilité des réseaux de distribution sélective de LVMH
Dans cette affaire, la cour d’appel de Paris avait fondé la responsabilité d’eBay principalement sur le fait que ses utilisateurs auraient revendu des produits LVMH en dehors des réseaux de distribution sélective. Celle-ci a considéré que les réseaux de distribution sélective mis en place par LVMH étaient licites et que l’interdiction de revente hors réseau avait été indirectement violée par eBay. Pour la cour d’appel de Paris, peu importait le fait qu’une grande partie de ces ventes soit effectuée par des particuliers.

La Cour de cassation a cassé l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris sur ces deux points, affirmant que la cour d’appel aurait dû vérifier la licéité des réseaux de distribution sélective, en déterminant notamment si ces réseaux avaient pour objet de fixer les prix de vente. De même, la Cour de cassation a considéré que « les ventes accomplies par de simples particuliers ne sont pas susceptibles de constituer une violation d’une interdiction de revente hors réseau de distribution sélective ». La Cour de cassation a en conséquence également invalidé l’injonction prononcée par la cour d’appel de Paris qui pesait sur eBay.

Vers une réduction des dommages et intérêts accordés au groupe LVMH

La Cour de cassation a donc renvoyé les parties devant la cour d’appel de Paris autrement composée qui devra se prononcer à nouveau en fait et en droit sur les points cassés, et en particulier estimer le préjudice allégué par le groupe LVMH. eBay peut ainsi espérer une réduction significative des dommages et intérêts accordés, notamment en raison de la mise hors de cause probable d’eBay Inc. pour les faits ayant eu lieu sur le site ebay.com.

L’ASIC reste mobilisée pour rappeler la nécessité d’une application conforme de la réglementation