Contribution ASIC sur la transposition en droit français de la directive 2007/65/CE du 11 décembre 2007, dite directive « Services de médias audiovisuels

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Créée en décembre 2007, l’ASIC (www.lasic.fr) est la première organisation française qui regroupe des sociétés de premier plan du web 2.0 et qui vise à
promouvoir le « nouvel » Internet. En France particulièrement, la démocratisation des offres haut débit a permis le développement rapide de nouveaux services Internet, souvent qualifiés de web 2.0. C’est ainsi que les intermédiaires techniques de l’Internet nouvelle vague et les opérateurs des plateformes placent désormais l’internaute au centre de l’Internet et lui fournissent les moyens pour développer la création, le partage et les transactions.

Selon une récente étude Ernst&Young sur le capital risque (mars 2007), la France arrive en tête de l’Europe en termes d’investissements dans le web 2.0 (l’écart
avec les Etats-Unis demeure toutefois encore important). Dans un contexte où l’emploi et la compétitivité sont au centre des débats politiques, l’Internet
nouvelle génération apparaît comme l’un des domaines clés d’innovation dont la France et l’Europe pourraient profiter.

En effet, les modèles liés au web 2.0 permettent l’émergence d’activités économiques jusqu’à présent difficilement viables – notamment grâce à la possibilité de servir une multitude de micro-audience sur le modèle dit de la « longue traîne ». En outre, l’écosystème qui s’affirme sur Internet se caractérise par son ouverture : une grande flexibilité dans l’utilisation, une audience accessible à tous, un espace de diversité culturelle, une interactivité renforcée, un modèle collaboratif tirant parti de l’intelligence collective, etc.

Cet écosystème ouvre de nombreuses opportunités de développement de nouveaux services, souvent par de tout nouveaux acteurs. Il n’est d’ailleurs pas inutile de souligner qu’aux côtés d’acteurs majeurs, voire historiques, de l’Internet, comme Google, Yahoo, MySpace, Wikimedia, ou Microsoft, les autres membres de l’ASIC sont de « jeunes pousses » françaises nées de l’imagination et du talent entrepreneurial de leurs fondateurs : Dailymotion, PriceMinister, SkyBlog, Exalead, Kewego, Zlio, etc.

Plusieurs membres de l’ASIC fournissent des plateformes d’hébergement de vidéos aux internautes. Ces plateformes hébergent des contenus vidéos créés par
les utilisateurs. Tout comme les blogs ou les forums de discussion, ces services offrent un espace d’expression ouvert aux internautes, en l’espèce sous un
format vidéo.

Certaines de ces plateformes permettent également à des éditeurs d’y rendre directement accessibles certains contenus vidéos.

Enfin, certains membres de l’ASIC concluent des contrats de licence afin de pouvoir diffuser certaines vidéos d’actualité, ou des extraits d’évènements sportifs, ainsi que la possibilité de diffuser des clips musicaux au sein de thématiques spécifiques dont le contenu est varié : liens hypertextes, articles de presse, photos et UGC.

Au niveau européen, l’adoption de la directive sur les services de média audiovisuels 2007/65/CE (désignée ci-après par « directive SMA ») a notamment comporté une analyse de ces services d’hébergement de vidéos créés par les utilisateurs. Le Parlement et le Conseil des ministres européens ont choisi d’exclure ce type de service du périmètre de la directive SMA.

C’est tout d’abord sur ce périmètre de la directive SMA que l’ASIC souhaite contribuer à la consultation publique conduite par la Direction au Développement des Médias. La frontière définie par la directive SMA, et notamment la frontière avec les autres directives européennes encadrant les activités des membres de l’ASIC, est un enjeu majeur de la transposition française, afin de maintenir un cadre favorable de développement de l’Internet en France.

Se concentrant sur ces services d’hébergement de vidéos créés par les utilisateurs, l’ASIC a préparé des réponses aux questions qui lui ont semblé pertinentes par rapport à cette activité. A ce titre, la question du périmètre de la transposition de la directive SMA est clé, mais l’ASIC a aussi souhaité apporter des précisions quant au positionnement des plateformes communautaires de vidéos créés par les utilisateurs quant aux problématiques de la promotion des oeuvres européennes et à la chronologie des médias. Bien entendu, l’association demeure à la disposition des pouvoirs publics pour toute concertation sur d’autres points.

3. Quelle définition des SMAd proposeriez-vous ? En particulier, quels types de services envisageriez-vous (télévision de rattrapage, vidéo à la
demande, etc.) ? En particulier quels critères pourraient être retenus pour exclure de la définition des SMAd les services visés :

– au considérant n° 16 qui prévoit d’exclure « les activités dont la vocation première n’est pas économique et qui ne sont pas en concurrence avec la radiodiffusion télévisuelle, comme les sites web privés et les services qui consistent à fournir ou à diffuser du contenu audiovisuel créé par des utilisateurs privés à des fins de partage et d’échange au sein de communautés d’intérêt »,
– au considérant n° 18, qui prévoit notamment d’exclure « les services dont la finalité principale n’est pas la fourniture de programmes, autrement dit les services dont le contenu audiovisuel est secondaire et ne constitue pas la finalité principale » ?

Une définition qui doit exclure les plateformes communautaires de vidéos générées par les utilisateurs, ainsi que les plateformes permettant l’accessibilité d’une pluralité de contenus, comprenant tant de la vidéo que d’autres type de contenus et dont la finalité n’est pas principalement la fourniture de programmes.

La directive SMA a notamment pour objectif d’adapter le cadre réglementaire de l’audiovisuel aux nouvelles technologies utilisées par les services de médias audiovisuels, et ainsi « de tenir compte de l’impact des changements structurels, de la diffusion des technologies de l’information et de la communication (TIC) et des innovations technologiques »1.

Dans cette perspective, la directive SMA modifie et crée, d’une part, des dispositions applicables aux services de médias audiovisuels, d’autre part, des dispositions applicables aux services de médias audiovisuels à la demande (« SMAd »). Cependant, « les services qui consistent à fournir ou à diffuser du contenu audiovisuel créé par des utilisateurs privés à des fins de partage et d’échange au sein de communautés d’intérêts » 2 sont exclus explicitement par la directive SMA. L’ASIC recommande que cette délimitation soit strictement reprise dans la transposition française.

Dans le cas de ces plateformes communautaires d’hébergement de vidéo, la frontière ainsi tracée met d’un côté des services qui relèveront du cadre de la
communication audiovisuelle, de l’autre des services relevant de la communication au public en ligne et notamment de loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique.

Ces plateformes telles que Dailymotion, YouTube, ou Kewego – pour faire référence à quelques membres de l’ASIC – relèvent notamment du I-2 de l’article 6 de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, et fondent leur modèle sur le cadre ainsi défini.

Plusieurs arguments militent à bien respecter cette distinction faite dans la directive SMA. Des plateformes non concurrentes aux éditeurs de services médias
audiovisuels … Les plateformes communautaires d’hébergement de vidéos se fondent bien sur des contenus émanant des utilisateurs privés que le cadre français sur la
communication audiovisuelle, conformément à la directive SMA, ne devrait pas avoir pour ambition de couvrir. Ces plateformes ne sont pas concurrentes ou ne sont pas conçus pour se substituer aux éditeurs de services médias audiovisuels. Elles constituent des outils à la disposition des internautes (d’ailleurs amateurs, professionnels, ou ayant-droits) qui sont entièrement libres du choix des contenus hébergés et mis en ligne.

Le concept clé de la « responsabilité éditoriale »
Aux termes de la directive SMA, la « responsabilité éditoriale » est l’un des concepts clés qui définit un « fournisseur de services de médias ». La responsabilité éditoriale est posée dans la directive SMA comme étant « l’exercice d’un contrôle effectif tant sur la sélection des programmes que sur leur organisation, soit sur une grille chronologique, dans le cas d’émission télévisées, soit sur un catalogue, dans le cas de services de médias audiovisuels à la demande ». En outre, le considérant 19 de la directive SMA dispose que la définition de l’éditeur « devrait exclure les personnes physiques ou morales qui ne font que diffuser des programmes dont la responsabilité éditoriale incombe à des tiers ».

Or les contenus présents sur les plateformes communautaires tels que Dailymotion, Kewego ou YouTube – pour ne faire référence qu’à des membres de l’ASIC – sont des contenus générés par les utilisateurs ou les éditeurs qui décident d’y héberger leurs contenus, et non par les plateforme elles-mêmes. Les utilisateurs choisissent éventuellement d’associer des métadonnées et une catégorisation à leurs vidéos. C’est toute la spécificité de ces plateformes que de « mettre aux commandes » les utilisateurs, et c’est sans doute une raison de leur succès.

Une distinction avec la notion d’hébergeur à maintenir clairement
Le modèle de ces plateformes repose principalement sur une prestation d’hébergement au sens de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique : « le stockage de signaux, d’écrits, d’images, de sons ou de messages de toute nature fournis par des destinataires de ces services » (Article 6, I, 2 de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance en l’économie numérique), « même à titre gratuit, pour mise à disposition du public par des services de communication au public en ligne ».

Cette notion d’« hébergeur » est essentielle au développement de sites d’expression vidéo telles que Dailymotion, Kewego ou YouTube, comme elle l’est pour tout type de sites basé sur le contenu généré par les utilisateurs (blogs, forums, pages persos, …). Le récent rapport d’information de l’Assemblée  Nationale sur la mise en application de la loi pour la confiance dans l’économie numérique souligne ainsi que « le statut d’hébergeur est la pierre angulaire du développement actuel de l’Internet pour offrir de l’information auprès de particuliers ».

Soutenir une position inverse, c’est-à-dire qualifier ces plateformes communautaires de fournisseur de services de médias audiovisuels, reviendrait à leur attribuer une responsabilité éditorial, qui comme le souligne le même rapport rendrait la « la tâche si complexe que l’hébergeur, devenu éditeur, ne pourrait en réalité pas permettre la mise en ligne de ce qui fait aujourd’hui la richesse et la vie d’internet ».

La notion d’hébergeur est essentielle à la viabilité technico-économique de plateformes de contenus créés par les utilisateurs et n’est pas compatible avec une responsabilité éditoriale sur les millions voire milliards d’heures de vidéos mises en ligne et hébergées par des plateformes communautaires de vidéos créées par les utilisateurs.

Il est capital que la transposition française de la directive SMA exclut bien les plateformes communautaires de vidéos générées par les utilisateurs afin notamment de maintenir clairement cette distinction entre éditeur et hébergeur.

Proposition de définition
Au total, les considérants 16 à 23 de la directive apportent des précisions quant aux définitions des services de médias. Le considérant 25 insiste sur le caractère
cumulatif des caractéristiques ainsi posées, qui « devraient toutes être réunies simultanément ».

Ainsi, au total, l’ASIC recommande que la définition des services de médias audiovisuels qui résulte de l’article 2 point a) de la directive soit lue ainsi :

Un service de média audiovisuels désigne :
– un service tel que défini par les articles 49 et 50 du Traité :
– (i) qui est sous la responsabilité éditoriale de et est fourni par un fournisseur de service de médias,
– (ii) dont l’objet principal est la fourniture de programmes de types télévisuels dans le but d’informer, de divertir ou d’éduquer le grand public, par des réseaux de communications électroniques au sens de l’article 2, point a) de la directive 2002/21/CE,
– (iii) qui est destiné à être reçu par une part importante de la population et qui est susceptible d’avoir sur elle un impact manifeste,
– (iv) pour lequel l’utilisateur pourrait normalement s’attendre à bénéficier d’une protection réglementaire.

– Un service de médias audiovisuels est soit une émission télévisée au sens du point e) du présent article, soit un service de médias audiovisuels à la
demande au sens du point g) du présent article. et/ou
– les communications commerciales audiovisuelles.

Ne sont pas des services de médias audiovisuels :
– les services dont la vocation première n’est pas économique,
– les services dont la finalité principale n’est pas la fourniture de
programmes audiovisuels, (clips de musique sur un site de musique par exemple)
– les services qui ne sont pas en concurrence avec la radiodiffusion télévisuelle,
– les sites internet privés,
– les services qui consistent à fournir ou à diffuser du contenu audiovisuel créé par des utilisateurs privés à des fins de partage et d’échange au sein de communautés d’intérêt,
– les emails privés,
– les services qui transmettent ou hébergent des programmes dont la responsabilité éditoriale incombe à des tiers et notamment à leurs utilisateurs, les versions électroniques des journaux et des magazines.

4. Quelles modalités vous apparaissent les mieux adaptées pour assurer la promotion des oeuvres européennes sur les SMAd ? Quelle appréciation
portez-vous sur les possibilités de réglementation énumérées par le considérant n° 48 ? D’autres dispositions vous paraissent-elle devoir être retenues ?

N’étant pas des fournisseurs de SMA ou SMAd, les plateformes communautaires de vidéos créées par les utilisateurs ne devraient pas être ciblés par d’éventuelles
dispositions relatives à cette question. Au demeurant les possibilités de réglementation énumérées par le considérant n°48 n’auraient guère de sens.

Néanmoins, il peut être utile de souligner l’opportunité que représentent des plateformes telles que Dailymotion, Kewego ou YouTube pour la diversité
culturelle et la promotion des oeuvres européennes.

Ces plateformes ne doivent pas être vues comme concurrentes ou substituables à la télévision, mais comme un nouveau support que les éditeurs de services média
audiovisuels peuvent investir pour promouvoir leurs programmes, voire pour y trouver une nouvelle fenêtre de valorisation, en complément de leurs canaux de
diffusion primaires.

La neutralité inhérente à un hébergeur tel que ces plateformes ouvre une opportunité d’exposition pour des contenus innovants, indépendants et divers. Il
n’y a pas de barrière à l’entrée, liée à une rareté des ressources telle que les fréquences hertziennes, ou liée à une responsabilité éditoriale qui conduirait à privilégier des contenus à forte audience. Les communautés d’utilisateurs des plateformes communautaires représentent des centaines de millions d’utilisateurs, et donc un potentiel de promotion ou de valorisation des contenus à ne plus négliger. Ainsi la promotion des oeuvres européennes pourrait gagner à investir ces plateformes d’expression vidéo.

5. Quel commentaire appelle de votre part une extension de l’article 70-1 de la loi du 30 septembre 1986 aux SMAd, ainsi rédigée ?
A nouveau, même si les plateformes communautaires ne devraient pas être visées par cette disposition car hors du champ de la transposition de la directive SMA, l’ASIC souhaiterait faire une remarque sur le positionnement de tels services par rapport à la problématique de la chronologie des médias.

Les ayant-droits de contenus sont aux commandes de ces plateformes de contenus créés par les utilisateurs. Ils sont donc maîtres du moment où ils choisissent de s’en servir pour tels ou tels de leurs contenus. Ainsi, certains utilisateurs (avant-gardistes ?) voient en ce mode de communication un moyen supplémentaire de distribuer les contenus dont ils détiennent les droits, quelle que soit leur nature. A ce titre, ces plateformes apparaissent comme une étape supplémentaire, et non alternative, dans la chaîne de la chronologie des médias, qui permet d’assurer la diffusion de contenus que les médias traditionnels ont abandonné compte-tenu de leur ancienneté. A titre d’exemple, actuellement les producteurs de séries ou feuilletons qui ont été télévisés à plusieurs reprises il y a quelques dizaines d’années utilisent les plateformes communautaires pour susciter et profiter d’un nouvel engouement pour ces oeuvres (ayant parfois valeur de symbole pour toute une génération).

1 Directive 2007/65/CE, considérant 1.
2 Directive 2007/65/CE, considérant 16.